Le train en mode survie ?


L'analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation  
Rien de tel que cet extrait d’un internaute pour débuter cette chronique : « Si vous allez acheter un billet a la gare, il faut s'y prendre tôt car les files d'attente sont longues et de nombreux guichetiers sont fort désagréables. Les renseignements donnes sont souvent incomplets ou incorrects et le prix supérieur a celui d'Internet. Quant à demander des renseignements par téléphone, il y a longtemps que ce n'est plus possible. Sur Internet, vous avez le temps de regarder les offres et de changer les dates ou destinations. Souvent, les offres sur Internet ne sont pas valides en guichet et on ne peut pas vous renseigner sur des correspondances avec le reste de l'Europe. La SNCF a favorise l'achat par Internet au détriment de la relation humaine. Par contre, une fois de plus, ce sont les personnes âgées et ceux qui n'ont pas Internet qui vont souffrir de ces changements » Certes on trouve de tout sur la toile mais il faut se rendre à l’évidence : ce sont bien des gens qui écrivent cela qui remplissent – ou non – les trains ! Sans client, que serait le chemin de fer de nos jours ?

Or je dois me rendre à l’évidence : de nombreuses chroniques ferroviaires associées à des plumes averties nous revendent à tour de bras le chemin de fer des années 70. Comme si rien ne devait changer ! Peut-on exploiter un mode de transport devenu mineur en ignorant les desideratas de ses clients potentiels ? Où préfère-t-on éviter l’horrible évidence que le chemin de fer ne répond plus du tout aux modes de vie et de déplacements de l’homo XXIème siècle ? Une récente communication de l'Union Européenne avançait des chiffres édifiants : la part de marché dans le transport voyageurs n'atteint péniblement que les 6% et 59% des européens ne prennent jamais un train local ou régional !

Le chemin de fer est aujourd’hui, comme hier, en mode survie. Un ballon d’oxygène lui fut attribué dans les années 80 lorsqu’arriva le TGV, démontrant que le train avait encore quelques atouts en poche. Puis vinrent Ryannair et Easy Jet, en pleine période de folie libérale, et qui parvinrent à démontrer aux plus endurcis des écolos militants que l’avion pour 30-40 euros, c’était possible et accessible à tous. Et dès qu’il est question d’argent, le peuple suit comme un seul homme. Mediarail a déjà pondu des chroniques expliquant le déclin de l’industrie, mais surtout la folle dispersion de celle-ci et surtout celle des habitants, ce qui fait que pour aller d’un point A à un point B, la voiture – ou le vélo - demeure l’option la plus simple (1). 

Au cas où….
Au boulot en voiture, même au pays roi du transort public, la Suisse...
Force est de constater que le rail n’est utilisé qu’en deuxième – voire troisième – recours : au cas où c’est l’embouteillage tous les jours, au cas où j’ai mon bureau juste à côté de la gare ou du métro. Au cas temporaire où j’ai pas de voiture. C’est bien peu pour refaire du chemin de fer un mode dominant. Pour les vacances en famille, la question ne se pose même plus : débarquer à Avignon ou Florence, alors que le lieu de séjour se situe à 40km, là-bas, dans un petit village tranquille. Quid des bagages encombrants, des enfants sous un soleil de plomb (2). Pour les sorties le soir au resto ou « en boîte », la question ne se pose plus non plus. Pour les visites du dimanche, même scénario. Et quant l’école puis le lieu de travail se trouvent bien loin des gares, on a vite fait d’oublier le train. Dans ce contexte, est-il étonnant que le chemin de fer se soit retrouvé à 10, ou 8, ou 12 %, peu importe, des chiffres très très mineurs. 

La voie facile 
C’est presque une leçon de morale qui pourrait expliquer notre monde d’aujourd’hui. Il existe encore des gens  qui croient que c’est la déficience des services publics qui a jeté les gens sur les routes. Ce n’est pas faux mais ne serait-ce pas plutôt la facilité et la liberté de circulation qui a détourné les gens du transport public ? Qui veut encore revivre une attente sous pluie, pour un train avec banquettes en bois qui crachote de la fumée ? A côté de la voie ferrée, une route vous invite à vous rendre rapidement – sans ATTENDRE – à votre destination (photo ci-contre). Elle
Prendre le train : parfois c'est sportif ( 70023venus2009 - cc Flickr)
est là la leçon de morale, la leçon de vie : attendre, prendre le temps, ne faire qu’une seule chose dans une journée. Tel n’est sûrement plus le mode de vie d’aujourd’hui, mais bien celui des années 50-60. Aujourd’hui, les gens ont choisi la voie la plus facile : celle de ne pas attendre et de partir sans horaire minuté.  Cela rompt avec le passé, dont les rythmes étaient identiques pour tous, car on n’avait pas d’autres choix, procurant un semblant de socialisation. Aujourd’hui, nos rythmes sont différenciés, nous ne vivons pas la même réalité que le voisin. C’est l’individualisme, le consumérisme qui nous le permet. Malheureusement, ce mode de vie équivaut à une pollution de grande ampleur et aux risques accrus d’accidents. De temps à autre, là où il y a du monde, des « noctambus » viennent ramener les fêtards « chez eux », c’est à dire pour ceux que ça arrange et qui n’habitent pas trop loin d’un arrêt… 

Très chers transfrontaliers… 
Récemment, et comme prévu, des critiques furent largement émises sur l’arrivée du Fyra. Clairement, personne ne s’attendait à ce que le matériel d’Ansaldo Breda puisse un jour fonctionné sans encombre, tant les essais de mise au point furent longs. Et les débuts du Fyra V250 furent effectivement laborieux, entraînant sa traditionnelle cohorte de non-dits et d’imprécisions. Sauf que ce fut parfois l’infrastructure néerlandaise – et non le train – qui mit en cause le service. Mais les critiques sont aussi ailleurs : celle de la réservation des places, qui équivaut pour certains à de la contrainte. C’est vrai si on compare une fois encore avec l’auto, où la contrainte n’existe pas. Mais curieusement on l’accepte pour Ryannair ou les concerts rocks (3). D’autres critiques se fondent sur le  trafic transfrontalier. Herman Welter affirme ainsi que les anciens trains Benelux « faisaient  le plein ». Mon expérience personnelle a surtout permit de constater que c’était plein de Bruxelles à Anvers et de Roosendaal à Amsterdam. En revanche, sur l’unique tronçon « international », ça se vidait fameusement. Idem sur les Ostende-Cologne : dotés de voitures VSE I6 à compartiments, on y voyageait debout en pointe du matin de Brugge à Bruxelles, puis ça se vidait drastiquement au-delà de Liège pour se re-remplir à nouveau à Aix la Chapelle. Les trains étaient donc bien vides entre Roosendaal et Anvers, ainsi qu’entre Liège et Aix. Pour ces trains, il s’agissait davantage d’un « collage » de deux services intérieurs plutôt que d’un vrai service international. Démonstration toujours d’actualité avec le Thalys d’aujourd’hui sur Cologne : le taux de remplissage est loin d’être mirobolant et on ne voit pas de cohorte de touristes allemands débarquer à Liège. La faute aux tarifs ? Non, c’est culturel : Cologne et surtout Liège sont bien peu touristiques comparé à Amsterdam, et puis le public préfère de loin Disneyland à Liège ou l’Allemagne… 

Logistique vs industrie
© Wilfried Sieberg
Les usines elles-mêmes ne sont plus des usines : fini les grandes industries d’antan où les marchandises étaient charriées par milliers de tonnes et où grouillaient dans une grande camaraderie des ouvriers par centaines (photo-ci contre). Dorénavant, place à la logistique et au flux tendu. Ce sont des entreprises, souvent petites, ne produisant que de petites quantités chaque jour. Le soir, un seul camion suffit pour la production d’une journée. Un train, c’est trop… La desserte d’une PME se fait avec un seul camion et un seul chauffeur. La desserte par wagon se fait avec une lourde loco diesel et…deux personnes – service public oblige : une pour conduire, une pour dételer-atteler. Coûts supplémentaires donc, même si le coûts de la pollution par camion est rarement pris en compte. Mais une loco diesel de 80 tonnes, ça pollue aussi… 

Les coûts du rail 
Reste le gros morceau de ce que coûte de nos jours le chemin de fer. Sur ce terrain hautement miné, les partis politiques s’affrontent à coup d’études interposées, savamment « fuitées » dans les médias. Le rail  a  le malheur  de
Nouvelle route contre vieille ligne ferrée...
disposer d’énormes coûts fixes, pas seulement en matériel, mais surtout en infrastructure. Or les dépenses de ces quarante dernières années ont consisté à acheter de beaux trains que l’on faisait rouler sur des voies pourries. Nous payons aujourd’hui largement cette gabegie de l’époque de nos parents. Souvenons-nous qu’après la guerre, l’urgence fut de reconstruire un chemin de fer vapeur à l’identique des années 30. En parallèle, on construisait un réseau routier, novateur lui ! (photo ci-contre à gauche). Le peuple a suivi et ça nous ramène aux paragraphes précédents. Pour contrer le phénomène, l’Europe tente l’expérience de l’Open Access, qu’elle a du imposer à coup de directives tant les résistances cheminotes furent élevées. But du jeu : tenter de voir comment des entrepreneurs privés peuvent se débrouiller pour revitaliser le rail…avec l’argent des banques, et non pas celui du contribuable. Marchera, marchera pas, affaires à suivre (4).

Le top management n’est pas en reste et voit le chemin de fer d’un autre œil que celui des clients On se rappellera les tentatives – mainte fois repoussées puis abandonnées – de la DBAG de s’introduire en bourse. « Heureusement » 2008 est passé par là et a enterré pour un bon moment cette funeste idée…Reste que le grand public est maintenant hypnotisé par le « pas cher.com » : telecom, last minute, promos en cascade et surtout, l’aviation libéralisée. Avec Ryannair, on atteint le summum en matière communication et le plus redoutable des militants anti-capitaliste a été emporté par le virus du « pas cher ». Sauf que pour arriver à un tel résultat, il fallait forcément adopter des manières de travailler « novatrices », épongeant tout un personnel à des salaires minimum pour des tâches maximales. Les chemins de fer sont encore exemptés de ces manières de faire mais pour combien de temps ? La vérité des coûts tient aujourd’hui lieu de slogan : c’est à celui qui aura le meilleur produit d’appel. Dans cette farce, personne ne veut voir que 80% des passagers paieront leur vol 3 à 10 fois plus cher que l’heureux gagnant qui empoche le même à 30 euros. Et combien ceux qui comptent le coût réel de l’auto – autre que le carburant et les péages ?

Ces quelques énoncés nous permettent donc de voir que le rail doit – et devra – encore se battre pour sa survie. L’option française du tout TGV n’en est plus une, les autoroutes que l’on rêvait de vider sont toujours bien remplies. Les gens de 2013 ne font pas une mais dix choses par jour, ce qui implique une mobilité exponentielle et sans limites. Autant s’en rendre compte avant de nous rabattre le chemin de fer des années 60….

Mes meilleurs vœux ferroviaires à tous pour l’année 2013.
 A lire : une opinion d'Herman Welter (en néérlandais)