Suisse : questionnement sur le transport public

L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation 
Coup de tonnerre au pays du train roi : l'Office Fédéral des Transports mettait en balance en octobre 2012  l'intérêt du maintient de 175 lignes régionales. Il s'agissait bien des "trains" à remplacer le cas échéant par des bus, les liaisons étant donc sauvegardées mais plus en mode ferroviaire. On remarquera avec intérêt que c'est l'OFT qui fit l'annonce, et pas les transporteurs nationaux comme c'est la coutume dans toute l'Europe (voir les structures institutionnelles du transport public). La Suisse est donc appelée à "la consolidation", qui n'est rien d'autre qu'une baisse des dépenses. Le chemin de fer est en ligne de mire et pourtant, quel nation ne lui envierait pas sa place de premier réseau de transport public le plus efficace du monde ! Décodage.

En 2010 déjà
Les propositions de l'OFT se basaient en réalité sur une décision du Conseil fédéral du 1er septembre 2010. On pouvait déjà lire à l'époque les éléments suivants : le programme de consolidation est susceptible de réduire à 2,6 % environ la croissance annuelle moyenne des dépenses de 2008 à 2014 (…) Le Conseil fédéral a fixé les axes de la réforme découlant du réexamen des tâches. (…) Ces mesures généreront au total des allègements compris entre plus de 500 et 600 millions par an (…). Tant les CFF que la direction de l’armée font valoir des besoins supplémentaires. Or selon le Conseil fédéral, le  financement de ces dépenses n’est pas assuré (...)

Cette intervention n'est pas anodine car à la fin de l'année 2012, deux dossiers de haute finance étaient mis sur la table : l'un consacré à la convention OFT-CFF 2013-2016 et qui octroie une subvention de 9,5 milliards CHF (€7,30 milliards); l'autre destiné à un fond d'infrastructure ferroviaire et doté de 6,4 milliards CHF (€4,87 milliards), pour un programme étalé sur une douzaine d'année. Voilà qui balise le rail suisse pour la prochaine décade mais alors, pourquoi ce questionnement sur les trains régionaux ?

Une période charnière
C'est peu dire si les CFF sont à un tournant important, selon les meilleurs observateurs de la Confédération. Divers éléments peuvent étayer le constat. D'abord la donne politique : les élections du parlement fédéral helvétique de 2011 entérine, malgré quelques pertes, un vote plutôt orienté au centre-droit (1). Il y a ensuite le succès des transports publics suisses : chaque habitant du pays a parcouru en moyenne 2875 kilomètres en transports publics, dont une bonne part en train. Ce succès remarquable a bel et bien rempli les trains, trop bien même à tel point qu'aujourd'hui le voyage des pendulaires s'effectue souvent...debout. Les CFF, on l'a déjà expliqué, sont prioritaire pour la mise en oeuvre de l'horaire cadencé. Présenté à l'OFT, chaque projet amendé ou non est remis tous les quatre ans aux autres transporteurs pour "connecter" avec le train. Il s'agit là d'une obligation légale qui n'a pas d'équivalent ailleurs en Europe (2). Le système est génial, mais il coûte extrêmement cher.  


SBB Cargo : pas au top de sa forme, ici en Allemagne (ph kbs478)
En parallèle nous trouvons aussi les mauvais chiffres de SBB Cargo, la division fret du service public. Cette division "indépendante" a ainsi perdu en une dizaine d’années plus de 50% de parts de marché dans le transit à travers les Alpes, suite à la libéralisation du secteur dès 1999, bien avant les prescrits de l'Union européenne ! Et pour finir il faut évoquer certaines adaptations et des constats : désormais les CFF signent pour 4 ans au lieu de 2, et l'escalade récente des incidents ferroviaires a montré que l'infrastructure avait bel et bien besoin des 500 millions CHF complémentaires, selon une contre-expertise de la compagnie ferroviaire. Ajouté à la demande du Conseil Fédéral de "réexaminer les tâches", on peut en effet affirmer que la Suisse est occupée à repenser sa vision des transports publics.

Re-tarifer la mobilité 

Qu'y-a-t-il de plus emblématique que les deux fameux abonnements qui demeurent une fièreté nationale : l'un est général et vaut 3.550 CHF (€2.840) en seconde classe. L'autre permet le demi-tarif sur tous les billets et coûte 175 CHF (€142) par an. En marge de cette institution il y aussi le questionnement sur une mobilité devenue explosive. Leader d'un groupe de recherche à l'université de St Gall, financé en partie par les CFF, le professeur Christian Laesser (3) jugeait que «pendant des années, on a fait la promotion de la mobilité en donnant les fausses incitations. Maintenant, le système est hors de prix et nous avons trop de pendulaires, qui font des trajets trop longs». Pour lui, le problème «n’est pas de savoir si les pendulaires devront participer davantage aux coûts, c’est de savoir pour combien, et selon quel système» (4). En clair : vouloir habiter loin de son lieu de travail pourrait à l'avenir coûter plus cher. Aucune personnalité politique n'est prête à emboîter le pas de cette théorie, on devine pourquoi... Toujours est-il que le même professeur évoquait un abonnement général pratiquement doublé à 7.000 CHF (€5.681) pour refinancer la mobilité et atténuer les trajets pendulaires. Selon lui, les détenteurs de l'AG ne paieraient que 10 centimes de CHF par kilomètres, alors que pour l'ensemble des autres clients du rail le tarif monte à 16 centimes.

Réétudier la mobilité

De beaux trains mais une infra à reconditionner (ph ip_grossmann
Une autre particularité est la relative rétention d'information  des chiffres de fréquentation. L'OFT dispose bien de TOUS les chiffres ligne par ligne mais ne les communique pas ou partiellement, histoire d'éviter des interprétations villageoises qui pourrait mettre à mal l'unité du système. L'OFT, qui devait suivre les recommandations de 2010 du Conseil Fédéral évoqué plus haut, a donc sorti en octobre 2012 un projet d’ordonnance qui prévoit de rendre obligatoire l’examen périodique des lignes de chemin de fer les moins rentables, à savoir celles qui ne couvrent pas 50% de leur coût. Environ 175 lignes régionales sur 300 pouvaient être déclarées à être mises "en bus". Ce qui cadre parfaitement avec les souhaits du Conseil Fédéral parlant d'une réforme découlant du réexamen des tâches. L'idée de transférer la tâche ferroviaire vers un service de bus n'est pas neuve en Europe mais a créer un véritable séisme en Suisse. Annuellement, les subventions versées aux entreprises de transport suisses se montent à 1,7 milliards CHF (€1,38 milliards), la moitié à charge de la Confédération, l’autre à celle des cantons. Toujours est il que la levée de bouclier - sans aucune grève - a permis de radoucir le projet d'ordonnance de l'OFT : le critère de couverture des coûts a été rabaissé à 30 % au lieu des 50. La mouture définitive des lignes touchées devrait être connue durant l'été 2013.

Perpétuer le modèle

Des CFF vers les régionaux privés, gage de réussite (ph champmol)
Ces évènements récents pourraient laisser croire que le transport public suisse serait en proie au questionnement. On peut gager qu'il n'en est rien, tant le système fonctionne et reste un modèle du genre pour le reste de l'Europe. Cela dit toute chose n'est pas éternelle et la crise, même si elle épargne plutôt bien la Confédération, montre que l'argent n'est pas toujours aussi disponible qu'il n'y parait. Rail 2000 semblait avoir engagé le réseau ferré sur la voie du futur, c'est en partie fait ou en voie d'être achevé. Mais les infrastructures NLFA faisant suite à l'initiative sous les Alpes ont coûté fort cher et les avances procurées par la Confédération devront être remboursées. Le nouveau tunnel du Lötschberg ne dispose pour le moment que d'un tube et demi et le pays sera content de voir aboutir le second Gothard ferroviaire. Il aura alors tout cela derrière lui...

Malgré tout, il manque ca et là une troisième ou quatrième voie, ou des saut de moutons pour éviter les cisaillements comme on en a construit à Zürich. Surtout, il apparaît que l'infrastructure va demander plus d'argent qu'on ne le pensait et sur ce thème, un questionnement subsiste quant à l'attribution des fonds versés aux CFF. Certains parlementaires demandent la fin des subventions croisées et le récent FIF répond en partie à la question. Le "modèle" ne semble donc pas si menacé qu'il ne l'est dit, mais requerra quelques adaptations juridiques.


Le bus à la place du train ?

On en revient au début avec cette idée bien connue en Europe : la mise en bus de certains omnibus. La carte des lignes à « moins de 50% » faisait apparaître un réseau en hécatombe dans la partie romande de la Confédération, particulièrement dans le Jura (voir la carte du blog d'Alain Rouiller), mais menaçant aussi un des fleurons du rail suisse, le MOB. On pourra visionner sur ce pdf la liste complète des liaisons "mises à l'examen". Notons au passage le souci de transparence lorsqu'on voit tous ces documents gracieusement disponibles sur le net (5).

Malgré les légendaires cars postaux, les bus n'ont pas la cote (ph kecko)
Les réactions des internautes vont souvent dans le même sens : on prendra la voiture plutôt que « se taper le car », c'est dire la bonne presse dont bénéficie ce mode de transport. Surtout, à l'heure des questionnements écologiques et des bilans carbone, le bus introduit le mode polluant comme mode dominant dans la mobilité régionale. Reste que le bus utilise une route payée par d'autres, ce qui n'est pas le cas du train qui paye seul, l'infrastructure sur laquelle il roule. Là est toute la différence mais ce jugement est tronqué lorsqu'il faut additionner les effets externes du transport routier d'une part, et le fait que l'infrastructure ferroviaire n'est pas viable sans un entretient minimal couvert par le contribuable, d'autre part. Sur ce thème, associations et partis politiques s'étripent depuis 150 ans. Le débat n'est pas clos...




(1) Voir l'infographie
(2) A relire les structures institutionnelles du transport public
(3) directeur du Centre de recherche sur le Tourisme et les Transports de l'Université de St-Gall
(4) Swissinfo.ch, 9 décembre 2012
(5) En Belgique, le plan d'investissement 2013-2025 est  invisible...si ce n'est sur demande et en version papier ! Bonjour l'écologie et la transparence démocratique...