La grande vitesse américaine : elle sera californienne
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
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20/01/2015

Après de nombreuses années de controverse et de scepticisme concernant la grande vitesse américaine, l'Etat californien est enfin prêt à sortir de terre une LGV de San Francisco à Los Angeles. Qu'est-ce qui se passe vraiment en Amérique, le pays où la ligne à grande vitesse était juste considérée comme un jouet pour la vieille Europe? Analyse



Comme le dit Larry Gerston, un expert politique de l'Université d’Etat de San Jose, au site web Contra Costatimes.com: « avant, vous ne saviez jamais quand on pouvait vraiment y aller. Aujourd’hui, comme l’idée se précise de mile en mile, il devient plus difficile de revenir en arrière ». C’est ainsi qu’eut lieu en janvier dernier, à Fresno, une cérémonie qui fera date dans l’histoire ferroviaire. Ce jour-là, la Californie inaugurait la construction de la plus grande infrastructure de son histoire, une ligne ferroviaire à grande vitesse qui relierait San Francisco à Los Angeles. Le rêve devient réalité ? Cela dépend. Rêve pour les uns, cauchemar pour d’autres.



La Maire de Fresno, la républicaine Ashley Swearengin, a déclaré soutenir  le projet ferroviaire. En plus de mettre les travailleurs de la construction au travail à court terme, Swearengin déclara que le projet ferroviaire relierait la région agricole de la Central Valley avec d'autres secteurs de l'économie de l'État californien. Le gouverneur Jerry Brown, 76 ans, qui en est à son quatrième mandat, n’hésitait pas à déclarer au Washington Post : « Nous devrions être en mesure d'avoir au moins un train à grande vitesse (ndlr : aux Etats-Unis), et le seul endroit où cela se passera dans notre vie, c’est en Californie ». Comme chacun sait, la Californie est vraiment une terre d’avenir. Le projet ferroviaire est estimé à 68 milliards de $ sur les 14 prochaines années, et la section inaugurée en janvier ne fait que 29 miles. La première phase du projet est prévue de Merced à Bakerfield comme le montre la carte ci-dessous : 



L’ensemble du projet atteindra le nord de Los Angelès en 2028, à Burbank. La suite du parcours à travers la cité des anges, jusqu’à Anaheim,  est en revanche incertaine. Tunnel en vue, comme pour le fameux corridor Alameda ? Cette LGV reliera San Francisco à Los Angeles en moins de trois heures à des vitesses de plus de 200 miles par heure, soit dépassant 320 km/h. Les 836 kilomètres de ligne compteront 24 gares.

Historique
Les projets de train à grande vitesse reliant le nord et le sud de la Californie avaient déjà été proposés par le gouverneur Jerry Brown dans les années 1980, le même gouverneur qu'aujourd'hui ! En 2008, les électeurs approuvèrent par référendum à 52,7% en faveur de l’émission d’obligations pour ce qui s’appelle la « Proposition 1A » (the ‘Safe, Reliable, High Speed Passenger Trains Bond Act for the 21st Century'). A partir de cette date, les choses ont commencé à se préciser.

Le projet n’est cependant pas sans controverses. Les gouvernements locaux, les opposants et les critiques du système ferroviaire contestèrent les coûts et la légalité du projet et ont plusieurs fois engagé des poursuites pour le bloquer. Avec comme conséquence que l'acquisition de terres fût plus lente que prévu, ce qui retarda le début de la construction de deux ans. La Cour suprême de Californie a ainsi encore statué en octobre 2014 contre une action intentée par le comté de Kings qui aurait bloqué la construction.

Qui s’en occupe ?
L’organe officiel du projet est la California High-Speed Rail Authority (CHSRA), créée en 1996, et responsable de la planification, de la conception, de la construction et de l'exploitation du premier système de train à grande vitesse des USA, et qui travaille avec les partenaires régionaux pour mettre en œuvre un plan de modernisation ferroviaire à l’échelle de l'État qui investira des milliards de dollars en lignes ferroviaires locales et régionales pour répondre aux besoins de transport du 21ème siècle.

Un challenge financier
En 2008, le coût du segment initial de San Francisco à Anaheim a été estimé par l'Autorité à 33 milliards de dollars. Mais après de nombreuses années, les dépenses estimées ont grossis pour s’établir à 53,4 milliards de dollars en 2011 et pour finalement atteindre $ 68,4 milliards. Le dernier prix? Sûrement pas ! Dans ce genre de projet, les dépenses actualisées ne reflètent pas toujours la réalité. Il suffit de se référer au projet Eurotunnel ou de plusieurs lignes à grande vitesse en Europe, quand il est de plus tenu pour acquis que l'écosystème  à grande vitesse devient une machine à déficits, comme en France.

Dans le monde anglo-saxon, l’argent du contribuable est un thème qui agite la population bien plus qu’ailleurs dans le monde. On n’hésite pas à affirmer qu’après les dépenses non justifiées d’Obama dès les premières années de sa présidence, le peuple américain a parlé fort et a renouvelé un Congrès devenu républicain pour arrêter les gaspillages. Comment donc les autorités californiennes vont-elles justifier une dépense de 68 milliards de dollars sur 14 ans ?

La première approbation en 2008 par les électeurs était une émission d'obligations à 9,95 milliards de dollars. L'administration Obama a ajouté 3,2 milliards de dollars de subventions fédérales, et le législateur a accepté en 2014 de fournir un financement complémentaire par les impôts sur les gaz à effet de serre, susceptibles de rapporter 250 millions à 1 milliard de dollars par année, ce qui nous fait un total pour seulement 26 milliards de dollars, au mieux. La CHRSA a déclaré s’attendre à une évolution des revenus publicitaires, de l'immobilier et des investisseurs privés prêts à financer jusqu'à un tiers des coûts totaux. Au cours des six derniers mois, l'autorité a remporté une victoire juridique majeure qui permettra à l'Etat de vendre plus de 8 milliards de dollars en obligations et a remporté son premier flux régulier de financement de l'État à partir d'un programme qui perçoit des taxes contre les gros pollueurs de la Californie.



Les travaux ont déjà commencé
Avant la cérémonie de Fresno, la CHSRA avait déjà sélectionné en avril 2013 une offre de 985 millions de dollars du consortium Tutor Perini Corp, Zachry Construction Corp et Parsons Corp pour entreprendre des travaux de génie civil sur une première section de 47 km, de Madera à Fresno dans la vallée centrale. Cette fois les choses sont réellement lancées.

Matériel roulant
La question du matériel roulant est largement attendue. En Octobre 2014, selon International Railway Journal, la CHSRA aurait reçu 10 réponses à sa demande d'expression d'intérêt pour un contrat de fourniture de rames à grande vitesse et d’un centre de maintenance. Les soumissionnaires sont:
Transport Alstom;
AnsaldoBreda;
Bombardier Transit Corp;
CSR Corp;
Hyundai Rotem;
Transport Marnell;
Kawasaki Rail Car;
Siemens Industry;
SunGroup USA & World Harmony Ville / CNR Tangshan Railway Vehicle Co;
Talgo.

L'Autorité prévoit que la conception finale doit être une rame automotrice capable de rouler à des vitesses allant jusqu'à 354 kilomètres par heure (220 mile / h). Il est spécifié une longueur de 205m avec 450 places en First et Business comprenant un pas entre sièges de 991 et 1067mm. Le poids à l’essieu ne peut excéder 17 tonnes, en droite ligne avec les spécifications techniques d’interopérabilité de l’Europe. Avec une flotte pouvant atteindre 95 rames, il est clair qu’une grande bataille commence…

Voilà donc un dossier passionnant à suivre ces dix prochaines années, d’autant qu’en y ajoutant le projet HS2 anglais (1), nous avons ici deux exemples d’infrastructure ferroviaire nouvelle à construire dans le monde anglo-saxon, avec toutes ses particularités de financement. Curieux de voir comment les choses vont tourner…