Deux manières de diversifier les activités des chemins de fer
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
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04/08/2015


«Au Japon, depuis le début des années 60 et l'émergence de la société de l’auto, il est devenu clair que, dans le but d'améliorer la compétitivité des chemins de fer,  il n’y avait que deux voies :  les trains à grande vitesse, et les activités de diversification» . Ces sont les mots de Mr.Yamanouchi, ancien président de la compagnie JR East. Une des raisons qui encouragent les chemins de fer à diversifier leurs activités est que le cœur de métier du rail - le transport ferroviaire – n’est pas l'activité qui rapporte le plus de revenus, du moins dans sa configuration actuelle. L'entreprise ferroviaire est en effet la plupart du temps axée sur le service public et fournit chaque année un déficit commercial qui ne peut être couvert que par des subventions étatiques. Depuis deux décennies, le rôle de l'Etat est de diminuer les subsides publics dans tous les secteurs. Les compagnies de chemins de fer doivent maintenant essayer de trouver d'autres sources de revenus, par l'augmentation de l'efficacité et de la diversification des activités.

Diversifier pour accroître le revenu

Bien sûr, le Japon est un cas particulier: ses différents types d'entreprises de transport de voyageurs (JR, compagnies majeures ou mineures, indépendamment de leur taille) fonctionnent avec un grand nombre d'activités de diversification, de l'immobilier aux parcs d'attractions, qui représentent une grande partie de leurs résultats d'exploitation globaux. De 1991 à 2004, les résultats montrent une convergence des stratégies de diversification des différentes sociétés de transport ferroviaire de passagers. Les segments d'activité qui sont généralement distingués sont le "Transport" (chemin de fer, bus, ferry), le «Retail» (magasins, restaurants, centre commercial, des grands magasins dans ou stations proches, directement exploités par des entreprises de l'enfant), l’«Immobilier» ( bureau, bail résidentiel et commercial dans ou à proximité des stations), et les «Autres» (hôtel, publicité, cartes de crédit, du tourisme, d'autres activités de loisirs). Pour certaines entreprises, les activités de transport ne représentent plus que 49%, les activités immobilières, de terrain ou des loyers commerciaux comptant pour 41% et le reste pour 10%. Cela montre l'importance des activités « externes » pour ces entreprises de transports voyageurs ferroviaires.

En Europe, il n'y a rien de tout cela, ou si peu. Toutefois, certaines entreprises ont été récemment dotées d’une filiale immobilière, afin de faire fructifier un patrimoine exceptionnel en termes de localisation. Il est difficile d'imaginer la quantité de terrains qui est la propriété des compagnies de chemins de fer. Certaines sont le premier ou le deuxième propriétaire terrien de leur pays. En France, SNCF Immobilier est la plus récente des cinq unités d'affaires du nouvel EPIC, chargés de gérer les propriétés foncières appartenant à SNCF Réseau en les adaptant aux besoins du Groupe, comme le décrit son site Internet. En Suisse, CFF Immobilier emploie 65 architectes développeurs sur un total de 850 employés.

L'autre importance de la diversification est la revalorisation des gares. Les activités de capitalisation des surfaces et des loyers commerciaux dans ce secteur sont principalement des activités de shopping en gare. Les compagnies ferroviaire ne gèrent pas directement ces magasins, mais disposent de contrats de location en fonction des résultats d'exploitation de chaque boutique. L'importance de cette activité est la quantité de clients qui fréquentent les gares. Récemment, la gare principale de Zurich, qui accueille chaque jour  437.000 personnes (passagers et des non-passagers), a prévu une augmentation du trafic de banlieue de 70 pour cent, équivalent à un flux de 743.000 personnes par jour. Selon le quotidien itlaien Il Sole 24 Ore, Grandi Stazioni, la société de gestion des gares des chemins de fer détenue à 60% par l'Etat italien via les chemins de fer Ferrovie dello Stato et à 40% par Eurostazioni (Pirelli, Caltagirone, la famille Benetton ...), gère les 14 plus grandes ferroviaires gares d'Italie, ce qui représente un cas unique en Europe pour son expertise dans la réorganisation et la transformation de ces gares ferroviaires en points de rencontre et de vente au détail.  Les chiffres sont à la hauteur des enjeux: plus de 500 magasins ouverts jusqu'ici, qui deviendront  900 à la fin des travaux de rénovation; 700 millions de visiteurs chaque année (300 millions rien qu’à Rome- Termini et Milan-Central, les deux plus grandes gares), 1,5 million de mètres carrés d'immobilier. Et surtout, plus de 900 millions € d'investissement destinés à redessiner les gares en Italie et deux autres en République tchèque (Prague Central et Marianske Lazne). La diversification des gares a permis à l'entreprise italienne de réserver plus de 200 M € du chiffre d'affaires en 2014 pour pouvoir investir. Mais en dépit de ces exemples, une enquête d'Emmanuel  Doumas en 2007 montre qu’en Europe, l’activité « transport » représente encore environ 92% du chiffre d'affaires des compagnies ferroviaires.

(photo CFF/SBB)

Diversifier pour attaquer le marché

La meilleure défense c’est l'attaque, dit l’adage. Cette stratégie, qui consiste à attaquer le même marché que son concurrent, est très différente de la précédente et ne vise pas nécessairement à augmenter les revenus, mais à contenir la concurrence de l'extérieur. Cette politique fait suite à des changements majeurs dans la mobilité. Aujourd'hui, la viabilité et l'avenir des services interurbains et des trains à grande vitesse sont remis en cause. La plupart des entreprises ne semblent pas avoir pris la pleine mesure de ces changements sociétaux, tandis que l'aviation low-cost s’est largement imposée sur le marché et que, plus récemment, les bus longues distances ont été libéralisés, privant par exemple la société allemande DBAG de près de 200 millions € de revenus. En France, la rentabilité du TGV s’est érodée, mais reste la première source de revenus de la société française. Comme nous l’avions écrit dans un autre post, la première action à entreprendre concerne le prix, pour répondre à l'aviation low-cost. C’est ce qu’on fait les français avec le TGV Ouigo, qui part d’une gare de  la périphérie de Paris (et non à partir des gares principales), et dont les rames ne disposent plus de bar et où le pas entre les sièges a été réduit. Certaines personnes ont parlé un peu abusivement du retour de la troisième classe ... Mais le chemin de fer à faible coût ne suffit pas à contrer la concurrence.

Comme la libéralisation du transport est inévitable, y compris pour les chemins de fer, le mieux est d'entrer sur le marché. Principalement dans deux secteurs : les autos et les bus. Pour cette raison, la SNCF a acheté en septembre 2013 le site 123envoiture.com, dans lequel elle avait déjà investi depuis 2009. En 2014, la société française a lancé Idvroom, un site web axé sur le trafic des navetteurs et également en compétition sur la scène nationale avec son grand concurrent, Blablacar. La compagnie de chemin de fer allemande DBAG a également lancé Flinkster, la plus grande compagnie d'auto-partage d’Allemagne. Environ 3.600 voitures - dont plus de 600 véhicules électriques - peuvent être réservées dans 200 villes allemandes auprès près de 1000 points, y compris toutes les grandes gares. 2500 véhicules sont disponibles en Autriche, en Suisse, aux Pays-Bas et en Italie. Depuis le lancement de la coopération entre les chemins de fer allemands (Flinkster CarSharing) et Daimler (car2go) en juin 2015, les clients des deux sociétés de car sharing ont désormais la possibilité d'utiliser les deux flottes sous un même enregistrement, pour un total de près 7.000 véhicules.

L'entrée dans le marché du bus ne date que de quelques années. Les chemins de fer français exploitent des services d'autocars en Europe depuis 2012, sous la marque iDBUS. Le DBAG a aussi sa division de bus, sous le nom de Fernbus. Cette présence peut paraître surprenante étant donné que les deux sociétés se sont spécifiquement plaintes de la chute de leurs revenus de leurs trains longue distance, y compris les trains à grande vitesse. Mais en réalité, elles cherchent à se positionner sur des marchés de niche dans le but d'accaparer des parts de marché dans ce secteur. En effet, la meilleure défense c’est l'attaque.

Conclusion

Le cœur de métier - le transport ferroviaire - ne semble pas l'activité qui rapporte le plus de revenus. Cette évidence est une chose connue depuis longtemps. Pour couvrir un maximum les coûts d'exploitation, il devient nécessaire pour les entreprises de chemin de fer de rechercher d'autres sources de revenus. Cela nécessite de développer l'immobilier et d’entrer sur le même marché que les concurrents. Cette politique aidera-t-elle à soulager les finances des entreprises ferroviaires ? L'avenir nous le dira ...