Belgique : le RER piégé par la politique
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25/01/2016

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Des rumeurs de presse du week-end dernier ont fait valoir le manque d’argent pour la poursuite du RER du côté wallon. Ce dossier décidément pourri démontre l’inaptitude de notre environnement institutionnel à créer et finaliser des grands projets nationaux.

L’importance de la langue parlée !
En Belgique, toute action politique nationale est conditionnée, non pas à l’équilibre économique du territoire dans son ensemble, mais à la sauvegarde de la langue parlée, cas unique au niveau mondial. C’est ainsi qu’a été créé en 1980 la funeste clé de répartition des investissements ferroviaires : 60% pour la Flandre, 40% pour la Wallonie. Un pourcentage qui représente de manière très arbitraire la composition linguistique du peuple belge. Et Bruxelles dans tout cela ? Zéro pourcent, car la ville, pourtant capitale du pays, représente en Flandre une grosse « tâche francophone » où le français est usité à 90%, une réalité imbuvable pour les milieux nationalistes qui ont imprégné toute la doctrine politique flamande depuis près de cinquante ans. La langue parlée est donc le fil rouge absolu du paysage politique belge, et il ne se trouve personne pour remettre cela en question. (voir à ce propos cet article)


Le RER en otage
La complexité institutionnelle fait qu’il est impossible de nos jours de concevoir en Belgique des grands projets nationaux. Le RER en fait partie, et son budget doit forcément coller aux desideratas institutionnels. Il s’agit concrètement de reconfigurer les huit axes convergents vers Bruxelles, cinq d’entre eux devant faire l’objet d’un quadruplement des voies. Deux de ces axes ont déjà bénéficié du quadruplement dans le cadre d’un autre dossier jadis sulfureux, le TGV Nord-Europe (projet terminé). Les lignes L36 (vers Leuven-Liège) et L96 (jusqu’à Hal) sont en effet à quatre voies depuis une bonne quinzaine d’années. Restaient les trois autres, pour lesquelles de gros travaux en génie civil étaient nécessaires, tout particulièrement en Wallonie, sur les lignes L161 (Ottignies) et L124 (Nivelles), avec élargissement des ponts, implantations de murs divers, reconfiguration des gares, expropriations très coûteuses dans le Brabant wallon. Seule la L50A est en cours de finition, car c’est une ligne destinée à Denderleeuw, territoire de…Flandre !

Toujours est-il que ce projet essentiel à la mobilité nationale aurait dû avoir son budget propre, d’un seul tenant et définitif, via un fond – qui existe – et/ou d’autres formules à créer. Las, on y a appliqué la funeste clé 60/40 et toute consommation du budget annuel au-delà du pourcentage légal d’une région engrange un freinage l’année suivante, pour que l’autre région puisse effectuer le nécessaire rattrapage. Une ignominie politique, qui peut engendrer le retrait d’un entrepreneur avec toutes ses équipes pour un bon moment. C’est avec cette sordide manière de mener les choses que l’on doit les atermoiements actuels. Même si au cabinet de la ministre de tutelle, on s’interroge : « Certains choix posés en 2003 étaient déconnectés de toute réalité d'exploitation ». L’auteur de ces lignes a pourtant retrouvé trace d’un projet de quadruplement de la L161 datant déjà de…1969, et ce projet le prévoyait jusqu’à Namur !

Certains travaux très avancés
A l'heure d'écrire ces lignes, les travaux peuvent être constatés selon trois cas de figure. Sur la ligne L50A (Flandre), la plateforme dispose déjà de ses rails et de sa caténaire. Sur la L161 (Ottignies, Wallonie)), la plateforme est très avancée voire terminée dans beaucoup de cas, mais pas de voies ni de caténaires. Sur la ligne L124 (Nivelles, Wallonie), des travaux ont été entamés entre Waterloo et Braine-l'Alleud (Wallonie) ainsi qu'à Nivelles (parking). Le noeud de Uccle-Moensberg à la limite de Linkebeek est terminé (Bruxelles). A Linkebeek même (la Flandre), une douteuse plainte concernant un permis de bâtir fait...qu'il ne passe rien depuis des années ! Et que dire des entrepreneurs qui ont mobilisé hommes et matériel en nombre. Quand on vous parlait de la dictature de la langue parlée...

Les travaux de La Hulpe, très avancés, avec ses murs et son pont élargi. Il ne manque plus que les deux voies à poser, de chaque côté de la voie existante (photo Mediarail.be, fin décembre 2015)

Les résultats de la politique
D’un autre côté, cette sortie médiatique cache peut-être aussi une jolie passe d’arme très actuelle, en termes de communication. Impossible d’en voir les contours précis si ce n’est qu’il s’agit d’un vaste spaghetti. En ligne de mire : les grandes gares, réputées pharaoniques, et dont l’argent « aurait pu servir au RER ». Bien vu, les réactions politiques du week-end ont très vite montré que le but était atteint. Va-t-on remettre en cause, non seulement Mons, mais aussi Malines et Gand ? On remarquera au passage le mutisme des politiciens bruxellois, qui ne furent jamais d’ardents défenseurs d’un projet ferroviaire accusé de « pomper la classe moyenne et ses juteuses rentrées fiscales ». En politique, tout est dans tout, et c’est cela qui est exécrable. L’autre cible, c’est la société nationale elle-même, qui fait l’objet d’un véritable mutisme de tous les partis politiques depuis des lustres. Chaque changement du management fait l’objet d’un jeu de chaise musicale qualifié « d’incontournable ». Dans ce contexte, la mise sur papier d’un contrat de gestion ou d’un programme d’investissement pluriannuel semble relever de péripétie de second rang, alors qu’il s’agit de l’avenir des contribuables-électeurs-usagers.

Nombreux sont ceux qui réclament face caméra le retour de la politique, délaissées ces dernières décennies au profit du tout-économique. On en voit maintenant les résultats. La calamiteuse gestion des tunnels routiers bruxellois vient en rajouter une couche. Une Belgique institutionnelle, voulue et conçue par et pour les politiques, et qui n’est pas la bonne formule pour le chemin de fer, ses investissements à long terme et ses usagers. On ne s’arrêtera pas de l’écrire…