Pays-Bas : reprise en main par l'Etat du gestionnaire d'infrastructure
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12/04/2016

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Le gouvernement néerlandais voudrait reprendre en charge la gestion de ProRail, le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire aux Pays-Bas. Un document de travail de la Secrétaire d'Etat Sharon Dijksma montre l’intention du gouvernement de replacer l'entreprise dans un cadre public par rapport à la situation actuelle. ProRail est une fusion officialisée en janvier 2005 des trois entités précédentes d’infrastructure qu’étaient Railinfrabeheer, Railned et Railverkeersleiding. ProRail est ainsi une société indépendante n’ayant pour unique actionnaire que l'État néerlandais, une situation qui s’apparente à celle de Network Rail en Grande-Bretagne.

Pratiques politiques
On rappellera que la gouvernance politique hollandaise peut paraître interpellante pour des Etats de tradition centraliste. Cela provient de l’histoire et de l’éthique protestante, où ce sont les membres, les croyants individuels, qui gouvernent en association, et non une hiérarchie infaillible comme dans le catholicisme. Ce raccourci historique non ferroviaire permet de comprendre l’actuelle gouvernance des institutions publiques que l’on rencontre en Europe du Nord. Ainsi, les néerlandais pratiquent plutôt le modèle en « réseau », impliquant des acteurs interdépendants, autrement dit le modèle « interactif » de gouvernance démocratique apparu dans les années 1990. On crée donc des « agences gouvernementales » ou organismes assimilés, mais l’Etat ne s’immisce pas dans la gestion et les choix du quotidien. Le chemin de fer n’a évidemment pas failli à cette logique…

(photo ProRail)
Gouvernance ferroviaire
A ce titre, il est intéressant de se rappeler les différentes options qui coexistent en Europe en matière de gouvernance ferroviaire. L’infrastructure demeure intégrée comme jadis au sein du transporteur publique national (Suisse, France), soit au sein d’une holding (Allemagne, Autriche, Italie), soit il s’agit de sociétés publiques indépendantes (Belgique, Espagne, Suède, Pays-Bas…). Au Japon, l’infrastructure est intégrée aux sociétés ferroviaires privées mais ne reçoivent aucune subventions publiques, interdites par la loi nipponne. Tel n’est évidemment pas le cas aux Pays-Bas où, en dépit de son appellation de société « privée », le gestionnaire d’infra ProRail dispose bel et bien de subsides annuels dans le cadre de ses missions, qui s’étendent aussi à certaines parties de gares voyageurs. La société emploie seulement 4.000 personnes pour gérer plus de 7.000 kilomètres de voies (soit 3.500 de lignes…), au travers de 13 cabines de signalisation, le contrôle du trafic au niveau national étant supervisé depuis Utrecht.

Le gouvernement néerlandais réagit donc après le constat de manquements grandissants au niveau de la gestion de ProRail. Il va cette année décider du sort de la société : soit devenir un organisme administratif indépendant ou carrément une administration publique. Le choix n’est pas encore fixé, mais on s’empressera de remarquer qu’il n’est aucunement question d’un retour chez le transporteur national NS comme jadis. Il faut savoir que ProRail gère aussi l’allocation des capacités pour les quarante autres sociétés privées qui roulent sur ses rails, essentiellement du trafic marchandise, mais aussi des sociétés de transport régionales, comme Arriva ou Veolia. ProRail reçoit chaque année du gouvernement près d’1 milliard d’euros, auquel s’ajoutent 260 millions provenant des péages d’infrastructure.

(photo ProRail)
Que reproche-t-on au gestionnaire d’infrastructure ?
ProRail, ces derniers temps, a subit une mauvaise presse en raison de divers abus. Ainsi, la société semble avoir violé des règles de passation des marchés avec l'attribution directe des contrats de maintenance à quatre entrepreneurs. Depuis l'été 2015, il y a aussi des préoccupations au sujet du fonctionnement interne du gestionnaire. La société a aussi été discréditée en raison d’une interminable série de problèmes d’entretien de la voie. Près de 40% des retards et annulations sont imputables à ProRail, principalement sur les circuits de voie, les aiguillages et la caténaire. Au niveau financier, la société est confrontée à des dépassements de coûts et des retards dans les grands projets ferroviaires et la rénovation des gares. Les mauvaises nouvelles ont commencé avec des erreurs d'approvisionnement dans l'entretien des voies et un surcoût  de plus de 30 millions d'euros dans la rénovation de la gare d'Utrecht Central. En septembre dernier, des consultants extérieurs ont observé une mauvaise comptabilité sur l’année 2014. Il est par ailleurs devenu clair que ProRail se dirige vers un déficit de près de 475 millions d'euros pour la période 2018-2028.

Des solutions ?
Avec un contrôle accru sur ProRail, connue aux Pays-Bas pour sa culture d'entreprise fermée, le ministère des Infrastructures et de l’Environnement espère résoudre les problèmes financiers. Ce ne sera pas une mince affaire. La transformation de la société en agence ou en administration ne signifie pas de facto une amélioration de la qualité du travail ni d’un bon usage des deniers publics. L’actuel CEO de l’entreprise, Pier Eringa, ex-directeur d’hôpital en poste depuis avril 2015, semble vouloir redonner du tonus au gestionnaire d’infrastructure. Avec sa devise « Dites-les choses comme elles sont, nommer les problèmes, et dites-moi comment vous aller les résoudre », il veut changer la culture de l’entreprise. Même si c’est difficile. Ainsi, le patron trouve étrange que ProRail ne puisse pas lui-même dépanner les trains. En cause : ProRail est un gestionnaire de voie et n’est donc pas un transporteur. Il n’a pas de licence ni de conducteurs pour opérer sur ses propres voies ! Les conducteurs du transporteur national NS ont des autorisations très limitées pour se dépanner eux-mêmes, et doivent laisser le train bloquer tout une voie en attendant les « dépanneurs » attitrés. Pier Eringa a donc mis son service juridique à contribution pour résoudre ces problèmes du quotidien. Car rouler sur ses propres voies nécessite avant tout un changement de la loi, à La Haye. Nous verrons au cours de cette année ce qu’il en sera et quel sera le choix de la secrétaire d’Etat…

(photo ProRail)